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Les sanctions secondaires et le système financier mondial

Sanctions Articles

Pour faire court, les sanctions secondaires visent à renforcer l’effet des sanctions principales (ou spécifiques) qui ciblent des entités précises dans le but de provoquer des changements de comportement. Elles sont, par nature, un prolongement des sanctions principales dans la mesure où elles sanctionnent et limitent l’accès commercial d’entreprises qui, tout en ne relevant pas de la juridiction du pays émetteur de sanctions, traitent avec les entités visées par les sanctions principales. L’utilisation efficace de ces sanctions plus coercitives requiert toutefois un effet de levier majeur.

Brève introduction

Les sanctions secondaires sont pour le moment un phénomène purement américain. Elles visent à accentuer la pression sur des tiers, qui en règle générale ne relèvent pas d’une juridiction américaine, pour les inciter à couper leurs relations commerciales avec les cibles des sanctions principales. L’application de sanctions secondaires entraîne la restriction des privilèges commerciaux, à savoir que tous les prêts ainsi que les licences d’exportation et l’assistance de la Banque d’import-export et autres opérations de change peuvent être refusés en cas d’application de ce type de sanctions.

La sanction la plus sévère pour non-respect de ces sanctions serait la perte complète de l’accès au système financier américain, une perspective désastreuse compte tenu de la puissance et de la prédominance du dollar sur le marché mondial. En effet, le dollar américain représente plus de 60 % des réserves des banques centrales mondiales. Quasiment toutes les transactions portant sur l’achat et la vente de pétrole et autres matières premières négociées sur le marché mondial s’effectuent en dollars. En outre, 65 % du volume total des dollars circulent en dehors des frontières américaines et, dans les pays où la volatilité et l’inflation sont élevées, la devise américaine est souvent préférée aux monnaies nationales pour les transactions locales.

Mais est-ce bien efficace ?

En somme, l’efficacité des sanctions secondaires dépend de l’importance de l’effet de levier dont dispose un pays. La simple menace de sanctions secondaires suffit parfois à influencer des tiers, comme l’illustre la réaction au retrait unilatéral des États-Unis du Plan d’action global conjoint (JCPOA) avec l’Iran en 2018.

La réimposition par l’administration Trump de sanctions strictes contre l’Iran et la perspective de sanctions secondaires imposées par les États-Unis pour faire respecter les règles à l’échelle mondiale ont amené de nombreuses entités européennes à cesser de manière préventive leurs relations commerciales avec l’Iran. Bien que l’UE continue à commercer avec l’Iran dans le cadre du JCPOA, ces transactions se limitent à celles réalisées en euro. Les volumes d’échanges, toutefois, sont en baisse.

Pour l’Iran également, les retombées sont importantes. La diminution de la croissance économique globale s’est accompagnée en Iran d’une contraction de 4,8 % du PIB  en 2018, puis d’une contraction anticipée de 8,7 % à 9,5 % en 2019. En attendant la publication des chiffres officiels pour 2019, si ces prévisions se confirment, ces résultats marqueraient les pires résultats économiques du pays depuis 1984. De même, la valeur du rial iranien par rapport au dollar est en forte baisse. Le taux de change officiel était de 42 000 rials pour un dollar, mais le taux de change sur le marché noir rapporté début 2020 était de 139,500 pour un dollar, en partie à cause des sanctions américaines mais aussi de l’attaque américaine qui a tué le général iranien Qassem Soleimani.

Avec un taux de chômage de 12%, un chômage de longue durée de près de 38 % et une augmentation du coût de la vie accentuée par une forte inflation, les Iraniens ressentent de toute évidence la pression, ce qui rappelle que les sanctions ont un véritable coût humain. Le but recherché est probablement que cette situation alimente le mécontentement politique et social et pousse les citoyens iraniens à réclamer un changement de régime. Reste à voir toutefois si cela incitera le gouvernement iranien à agir en conséquence.

Et demain ?

Si jusqu’à présent les sanctions secondaires ont été appliquées surtout par le gouvernement américain, rien ne garantit qu’il en sera toujours ainsi. En effet, même si elle est encore loin d’être une réalité, la perspective que le dollar perde sa position dominante est forte. Pourtant, des efforts sont de toute évidence engagés pour créer de nouveaux modèles économiques et de nouvelles perspectives financières sans recourir au dollar. Si ces initiatives aboutissent, les sanctions secondaires perdront inévitablement de leur efficacité.

La Russie, par exemple, essaie depuis longtemps de contourner le système financier dominé par le dollar. Elle a réduit le volume de ses réserves internationales détenues en dollars, optant plutôt pour l’euro et le renminbi, la devise chinoise. Elle a par ailleurs conclu des accords d’échanges de devises avec la Chine et a lancé en 2017 son propre système de messagerie interbancaire pour les paiements, SPFS, qui rivalise avec SWIFT, un système auquel l’Inde, la Chine et la Turquie ont exprimé, fin 2019, leur intention de participer.

L’Europe, elle aussi, a exprimé son intérêt pour une alternative à SWIFT. Suite au retour des sanctions contre l’Iran annoncé par les États-Unis, l’UE s’est mise à plancher sérieusement sur la création d’un système de ce type et a lancé INSTEX en 2019. Toutefois, le succès d’un tel système reste conditionné en partie par la réaction du gouvernement américain qui peut sanctionner ceux qui choisissent de l’utiliser.

De nombreux obstacles restent à surmonter avant que soit entravée considérablement la capacité des États-Unis à profiter de leur statut au sein du système financier mondial. Mais plus ces nouveaux systèmes gagneront en popularité, plus nous devrions commencer à voir d’autres pays obtenir assez de moyens de pression pour défier les États-Unis sur ce front. Reste à savoir cependant comment les choses se passeront et quel sera l’impact sur le système financier mondial.

 

Publié initialement 31 mars 2020, mis à jour 10 mai 2022

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